Les salariés qui démissionnent peuvent, dans certains cas, toucher le chômage. Mais selon les situations, plusieurs conditions sont à respecter pour en bénéficier. Dans son dernier rapport annuel, le médiateur national de Pôle emploi tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur ce droit difficile à exercer.
Les années passent et le constat reste le même. Toucher le chômage après une démission relève du parcours du combattant pour de nombreux salariés. Car pour rappel, dans certaines situations dites “légitimes”, démissionner permet d’être indemnisé par Pôle emploi. C’est notamment le cas des salariés qui démissionnent pour suivre leur conjoint contraint de changer de lieu de résidence pour un nouvel emploi. Ou encore de ceux qui rompent un premier contrat après trois ans d’affiliation à l’assurance chômage sans interruption pour rejoindre un autre établissement en CDI mais auquel le nouvel employeur met fin dans les 65 premiers jours travaillés. Or d’après le rapport 2022 du médiateur national de Pôle emploi, Jean-Louis Walter, publié fin mars, “les démissions sont toujours un sujet de frustration lorsqu’elles se prennent dans les filets de l’assurance chômage”.
D’un côté, il y a des situations “aussi anciennes que la réglementation elle-même” et “c’est en vain qu’on recherche des signes d’évolution patents”, relève le médiateur. D’après lui, toutes les situations sont sources de “difficultés” pour les salariés, que ce soit une démission “ordinaire”, une fin de période d’essai à l’initiative du salarié ou encore une fin de période d’essai ou de CDI à l’initiative de l’employeur lorsque le salarié a démissionné pour occuper ce nouveau poste.
Le médiateur national de Pôle emploi prend ainsi l’exemple d’un salarié du secteur de l’imprimerie ayant démissionné pour un CDI dans une nouvelle entreprise, proposé sans période d’essai en raison de ses dix années d’expérience dans le domaine. Son nouvel employeur a toutefois décidé de rompre le contrat au bout d’un mois (soit avant les 65 premiers jours du contrat). Vu que le salarié en question n’avait pas trois années consécutives d’activité – il a connu une interruption de trois jours entre deux employeurs en décembre 2019, alors que seule une interruption d’un week-end est autorisée -, il n’a pas pu bénéficier du chômage.
Des règles qui ne reflètent plus la réalité du marché
“La réglementation de l’assurance chômage prévoit bien une liste de cas pour lesquels la démission est légitime (et permet donc d’être indemnisé par Pôle emploi, ndlr), mais force est de constater que les textes n’ont pas évolué et ne reflètent plus la réalité du marché du travail”, signale Jean-Louis Walter, qui appelle, comme il l’avait déjà fait dans son rapport de 2016, à “réhabiliter le pragmatisme sur le sujet des démissions”, ces dernières relevant de règles complexes et donc difficilement applicables et compréhensibles pour les allocataires.
Voilà pour les cas (malheureusement) traditionnels de salariés ne parvenant pas à bénéficier du chômage après une démission. Mais un autre type de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié, qui ouvre droit à l’indemnité de Pôle emploi depuis quelques années seulement, est également source de crispations. Depuis novembre 2019, comme Emmanuel Macron l’avait promis lors de la campagne présidentielle précédant son premier quinquennat, il est possible d’ouvrir un nouveau droit au chômage en cas de démission pour une reconversion
Sous certaines (strictes) conditions, toutefois. Il faut ainsi avoir travaillé de manière continue – sans période de chômage – pendant les cinq années précédant la démission, soit 1.300 jours de travail au cours des 60 mois précédant la fin du contrat. Par ailleurs, un projet de reconversion professionnelle, devant présenter un caractère “réel et sérieux”, est obligatoire. Ce projet doit ensuite être validé par un opérateur de conseil professionnel, ainsi qu’une commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR). Pôle emploi s’occupe enfin de vérifier que toutes les démarches ont bien été réalisées par le démissionnaire pour percevoir les indemnités chômage.
Mais d’après les dernières données communiquées par Pôle emploi et l’Unédic en août 2022, seules 25.000 personnes ont ouvert un nouveau droit au chômage dans le cadre d’une démission-reconversion depuis la création du dispositif, soit au bout de deux ans et demi environ. S’il y a du mieux comparé à la situation de novembre 2021, ce nombre reste bien inférieur à l’objectif visé par le gouvernement à l’origine, à savoir 17.000 à 30.000 bénéficiaires chaque année. Il faut dire que l’information sur ce dispositif est “mal comprise par les candidats”, “incomplète”, voire même “absente”, regrette le médiateur national de Pôle emploi.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il remet en cause la mesure : il parlait déjà d’un “rendez-vous manqué” dans son rapport 2019, avant de revenir à la charge dans son édition 2020 en décrivant la mise en œuvre pratique de la mesure comme étant “éloignée de la simplicité de la promesse initiale car elle s’assortit de conditions préalables assez complexes”.
Une information trop tardive sur le chômage pour démission-reconversion
Dans son rapport 2022, le médiateur national de Pôle emploi estime notamment que sur les cinq années d’activité exigées pour bénéficier du chômage en cas de démission-reconversion, l’information est “inaccessible” en amont. “De fait, les médiateurs (régionaux, ndlr) continuent de recevoir des demandes de médiation après un refus d’une ouverture de droits à l’assurance chômage en raison d’un manque de jours travaillés, notifié par Pôle emploi après le calcul des droits, c’est-à-dire en toute fin de parcours, après que le salarié a démissionné”, expose Jean-Louis Walter. Et d’ajouter : “Cela paraît invraisemblable mais répond à une logique technique et administrative. Pour que Pôle emploi examine le droit à indemnisation, il doit se fonder sur les attestations employeur. Or ces documents ne sont remis par l’employeur qu’à la fin de la relation de travail. Dans la construction actuelle, le candidat n’est donc pas en capacité d’obtenir de Pôle emploi l’assurance de son éligibilité avant d’avoir démissionné.”
Et la situation est encore plus problématique pour les salariés de droit privé travaillant pour un employeur public, ceux-ci n’étant pas éligibles au dispositif mais n’en étant informés, encore une fois, que trop tard. Plus précisément, “un employeur public peut indemniser au chômage lui-même ses ex-salariés sous contrats privés en auto-assurance, ou bien déléguer cette indemnisation à Pôle emploi via une convention de gestion. Quel que soit le mode d’indemnisation, ces salariés sont exclus du dispositif (chômage pour démission-reconversion, ndlr) dès lors qu’ils ont travaillé dans le secteur public dans la période qui a précédé la fin du dernier emploi”, rappelle le médiateur national de Pôle emploi.
Et la situation est encore plus problématique pour les salariés de droit privé travaillant pour un employeur public, ceux-ci n’étant pas éligibles au dispositif mais n’en étant informés, encore une fois, que trop tard. Plus précisément, “un employeur public peut indemniser au chômage lui-même ses ex-salariés sous contrats privés en auto-assurance, ou bien déléguer cette indemnisation à Pôle emploi via une convention de gestion. Quel que soit le mode d’indemnisation, ces salariés sont exclus du dispositif (chômage pour démission-reconversion, ndlr) dès lors qu’ils ont travaillé dans le secteur public dans la période qui a précédé la fin du dernier emploi”, rappelle le médiateur national de Pôle emploi.
Le caractère “alambiqué” du dispositif le rend donc “vulnérable aux difficultés d’appropriation”, pointe Jean-Louis Walter. Et de conclure : “À regret, on doit donc constater qu’à travers le traitement des démissions […], on continue de mettre des freins à l’ambition et à la mobilité professionnelle des salariés.”
Source: Capital