Le médiateur de Pôle emploi délivre un rapport teinté de colère

Sanctions « disproportionnées », réglementation complexe et piégeuse, courriers incohérents : les demandes de médiation ont augmenté en 2020, marquée par la crise. Et l’exaspération s’amplifie.

Avis de tempête. Dès l’avant-propos de son rapport, Jean-Louis Walter prévient : la colère gronde. Le médiateur national de Pôle emploi pose d’emblée le
contexte: une crise sanitaire sans précédent et une réforme d’assurance-chômage imminente. Cocktail explosif.

« Ce rapport, peut-être plus que les précédents, vous donne à lire ces messages d’incompréhension et de colère qui nous parviennent dans les courriers et les
mails, indique-t-il. Nous sentons bien que la Covid19 a impacté la cohésion sociale, elle suscite inquiétude, angoisse et parfois même de grandes colères. Pendant
ce temps, des réformes (toujours anxiogènes) sont annoncées, mal expliquées elles peuvent apparaître comme des sanctions supplémentaires à celles et ceux
qui sont déjà en grande difficulté.»
Au paragraphe suivant, il enfonce le clou et s’adresse, sans les nommer, aux initiateurs de la réforme: Plus que jamais, nous percevons ces inquiétudes croissantes et surtout l’incompréhension face à des évolutions dont les auteurs ne semblent pas toujours mesurer les répercussions.»

Cela fait maintenant plus de dix ans que Jean-Louis Walter officie en tant que médiateur national de Pôle emploi. Sa fonction a été créée par la loi du
1er août 2008. Il dispose «de tous les moyens d’un fonctionnement indépendant, distinct des services de Pôle emploi».
Ses rapports annuels, présentés en conseil d’administration de Pôle emploi, sont éclairants et sans concession. Ce sont de véritables baromètres des problématiques fréquemment rencontrées par les demandeurs d’emploi. Jean-Louis Walter condense
les motifs de saisine de ses services, alerte sur des dysfonctionnements au sein de Pôle emploi et formule des recommandations.
En 2020, le nombre de demandes de médiation a augmenté de 12%. 34685saisines contre 30986 en 2019 (elles étaient à l’époque en baisse de 2 points après une hausse de 3,6% en 2018). L’essentiel des demandes porte sur l’indemnisation (57%) puis sur les trop-perçus (16%) et la formation (8%).

Sanctions disproportionnées et courriers incohérents.
Les radiations de Pôle emploi représentent 5% des saisines. Le médiateur fait pourtant le choix de s’y arrêter dans un chapitre pointant «la gradation et la sévérité des sanctions». Être radié de Pôle emploi signifie ne plus percevoir d’allocation-chômage, le
temps de la sanction. La personne privée de droits est d’ailleurs désinscrite des listes des demandeurs d’emploi.
La durée de la radiation dépend du «manquement» constaté. La loi sur «l’avenir professionnel» avait modifié, et durci, l’échelle des sanctions (voir ici
l’article de Mathilde Goanec). Les durées varient de un à douze mois consécutifs. Les allocations peuvent même être définitivement supprimées en cas «de fausse déclaration en vue de percevoir des allocations».

Au début de la crise, en 2020, les radiations avaient été suspendues. Une bienveillance très provisoire, uniquement le temps du premier confinement.
En moyenne, au cours d’une année «normale», 43000personnes sont radiées chaque mois (données mensuelles2019 de la Dares).
Dans son rapport, le médiateur national note que «nombreux sont les médiateurs [régionaux] qui constatent que ces sanctions deviennent de plus en plus sévères, avec un usage fréquent des radiations de six mois et, surtout, suppression définitive du revenu de remplacement».
À ce sujet, il rappelle que «le Conseil d’État reconnaît le caractère de sanction aux suppressions du revenu de remplacement et précise que cette qualification
s’assortit d’un principe de proportionnalité». Or, souligne Jean-Louis Walter, «au regard des situations présentées, certaines d’entre elles semblent disproportionnées, dans la gravité de la sanction et de leurs conséquences». Et il ajoute: «À l’évidence,
ces situations prennent une acuité particulière dans le contexte de crise sanitaire, lorsque la personne radiée ne peut plus rechercher d’emploi.»

Pour étayer son propos, le médiateur raconte l’histoire, terrible, de «MonsieurO.E.», 57ans et ouvrier agricole. Cet homme est «déconnecté du monde Internet et
ne dispose pas d’ordinateur». Il comptait sur ses employeurs en qui il avait « une confiance aveugle » pour procéder à ses déclarations mensuelles. Mais certains ne l’ont pas fait. Monsieur O.E. a donc «fait l’objet d’une sanction pour fausse déclaration
entraînant sa radiation pour une durée de 6 mois, ainsi que la suppression définitive du reliquat de 666 jours restants sur ses allocations de chômage. Un trop versé
d’un montant de 3772,70euros lui est par ailleurs réclamé suite à l’exercice d’une activité non déclarée, à son insu».
Une triple et très lourde peine. «La personne se retrouve ainsi sans aucun revenu pendant la durée de la sanction, puis avec un ou plusieurs indus à
rembourser à sa réinscription comme demandeur d’emploi», décrit Jean-Louis Walter.
Le médiateur dit avoir adressé, sur ce sujet, une note à la ministre du travail. Il plaide pour une «adaptation de la décision à la spécificité de chaque situation
individuelle». Un traitement sur mesure, en somme, plutôt qu’une application stricte et aveugle des règles.
Il invite également Pôle emploi à une gestion plus personnalisée de certains dossiers. En particulier si c’est l’opérateur qui commet une erreur. Il cite un cas
de «maltraitance autour d’une radiation».
Monsieur A., sanctionné pour absence à un entretien… auquel il a pourtant assisté. Son agence avait reconnu son erreur mais Monsieur A. a dû «écrire un courrier
de contestation, pour traiter sa situation selon le circuit habituel, presque deux mois après les faits». «Est-il normal de demander à une personne de contester dès lors qu’il y a reconnaissance d’un tort créé par Pôle emploi? N’y a-t-il pas un moyen rapide de résoudre la situation plutôt que devoir en passer par un circuit habituel?», interroge Jean-Louis Walter.
Le médiateur préconise enfin à Pôle emploi d’améliorer le contenu de ses courriers envoyés aux chômeurs. Cette question est d’ailleurs selon lui «un
serpent de mer». S’il concède des efforts, il estime que la tâche est encore «immense».
« Les courriers liés aux radiations sont sensibles car la sanction qu’ils portent leur impose un formalisme particulier. Malheureusement, ils restent parfois porteurs d’incohérences. Compte tenu de la sévérité des sanctions appliquées, ces approximations sont mal venues et potentiellement risquées juridiquement.»

Activité réduite et méconnaissance des règles : gare aux pièges
Chaque mois, plus de deux millions de personnes travaillent, tout en étant inscrites à Pôle emploi. Cela s’appelle l’activité réduite. En fonction du salaire perçu, il est parfois possible de cumuler son revenu avec une partie de son allocation-chômage.
Loin d’être un phénomène à la marge, l’activité réduite peut, selon le médiateur, pénaliser les demandeurs d’emploi qui ne maîtrisent pas bien les règles.
Trop-perçu, non-déclaration d’activité (en l’absence d’indemnisation, donc sans volonté de fraude) ou demande de réexamen des droits après une période de
travail sont autant de pièges dans lesquels ils peuvent tomber.
« Être inscrit [à Pôle emploi] et travailler ne font pas toujours bon ménage, analyse Jean-Louis Walter. Ces personnes ne peuvent pas savoir dans quel contexte
d’examen [de leurs droits] elles se trouvent. Elles ne peuvent pas connaître une réglementation que les conseillers eux-mêmes ne maîtrisent pas toujours
parfaitement, compte tenu de sa complexité.»
Le médiateur cite aussi l’exemple de celles et ceux qui ne perçoivent pas d’allocation-chômage mais préfèrent rester inscrit.e.s à Pôle emploi, le temps de terminer une mission. «À force d’alterner périodes de travail et périodes de chômage, il est pour eux
plus simple et peut-être aussi plus rassurant de rester inscrits […] plutôt que de se désinscrire pour se réinscrire en permanence.»
« S’il est aisé à comprendre, ce choix n’est pas neutre au regard de la réglementation d’assurance-chômage, avertit le médiateur. Il dresse un cadre contraignant,
qui se referme impitoyablement sur ceux qui n’en ont pas une parfaite connaissance et maîtrise. Car ouvrir un nouveau droit, déclarer des périodes de travail
ou interrompre une période d’essai requièrent une grande vigilance, sous peine d’être désavantagé, voire sanctionné.»

Ouvrir des droits après une démission: la désillusion
C’était une promesse phare d’Emmanuel Macron, candidat en 2017 pour la présidentielle. C’est aujourd’hui un véritable flop. L’ouverture des droits
eu l’effet escompté. «Sa mise en oeuvre pratique est éloignée de la simplicité de la promesse initiale, car elle s’assortit de conditions préalables assez
complexes», décrit le médiateur. Dans son programme, le candidat Macron écrivait
ceci: «Nous ouvrirons les droits à  l’assurance chômage aux salariés qui démissionnent […]Tous les cinq ans, chacun y aura droit, s’il choisit de démissionner pour changer d’activité ou développer son propre projet professionnel.»
En réalité, une fois transformée en loi, cette promesse s’est vidée de sa substance. Les conditions sont effectivement très strictes. Il faut justifier d’une durée
d’activité salariée continue de 5ans, disposer d’un projet de reconversion «réel et sérieux», solliciter un conseil en évolution professionnelle et faire valider le
projet par une commission régionale.
Le gouvernement espérait de 1 500 à 2 500 bénéficiaires par mois. Ils ont à peine été…
un millier entre le 1ernovembre 2019 (la mise en application) et fin mars 2020, selon une note de synthèse de l’Unédic, publiée en juillet 2020.
Le gestionnaire de l’assurance-chômage estimait à l’époque que «la période de confinement et la récession économique» freineraient sans doute encore
davantage la montée en charge de cette mesure. Pire, la promesse a généré de terribles désillusions, pointées par le médiateur: «Bon nombre de candidats
à ce nouveau droit découvrent, à la fin d’un parcours fastidieux, qu’ils ne sont pas éligibles au dispositif, alors qu’ils ont déjà démissionné.»
Sa préconisation est limpide: «L’esprit de ce nouveau droit semble être dévoyé par une procédure trop complexe. Les candidats à la reconversion professionnelle devraient avoir les moyens de prendre leurs décisions de manière éclairée, en les informant avant qu’ils démissionnent de leur emploi, des conditions de prise en charge financière de leur projet. Il est urgent de mener une réflexion sur l’articulation
des interventions des différents acteurs qui gèrent ce dispositif.»
Pour mémoire, cette promesse d’une «assurance chômage pour tous» était présentée comme le volet «justice sociale» de la réforme. D’un côté, les allocations sont réduites (voir notre dossier sur l’injustifiable réforme), «et en même temps» les droits
sont censés être élargis à de nouveaux publics. Alors que les démissionnaires (et indépendants) ne se sont pas bousculés, 1,15million d’allocataires verront
leurs droits réduits la première année d’application de la réforme, selon l’Unédic.

(Source: Médiapart)