Alors que la France est enlisée dans une crise sociale et démocratique sans précédent, Emmanuel Macron appelle à la rescousse les grands patrons étrangers pour un immense coup de communication et son sommet Choose France. Principal thème au programme : la réindustrialisation du pays. Depuis quelques jours, le président se veut le chantre du souverainisme. C’est audacieux. Surtout lorsque l’on est l’homme qui a largement contribué à la fuite de l’industrie, celui qui, depuis sa prise de fonction à l’Élysée, a vu signer ou négocier sept accords de libre-échange. Et surtout lorsque l’on est l’homme qui a bradé Alcatel, Alstom, Arcelor, Technip. Il s’agit une véritable conversion, une repentance. Du moins, cela aurait pu l’être, si tout ce plan n’était pas que du vent. Dans toutes les communications des ministres, nous pouvons lire : grâce à Choose France, les grandes firmes vont investir 13 milliards dans le pays. Mais combien paye-t-on pour avoir ces 13 milliards ?
Les sommets Choose France sont l’occasion pour le chef de l’État de reprendre ses habits de banquier d’affaires et de promouvoir tous les cadeaux fiscaux réalisés depuis plusieurs années. Des cadeaux fiscaux faits sur le dos des Français. En six ans, sous prétexte de « compétitivité », la Macronie a considérablement réduit les budgets de la sécurité sociale et de l’État. Suppression de l’ISF (5 milliards), flat tax (3 milliards), CICE (20 milliards), baisse des impôts de production (10 milliards), cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, plus de 10 milliards), Crédit impôt recherche (6 milliards). Depuis des années, loin d’avoir une seule volonté industrielle, Emmanuel Macron fait payer aux Français ses nombreux cadeaux fiscaux. Au total, environ 160 milliards sont donnés chaque année par l’État, pour in fine que les grands industriels promettent… 13 milliards d’euros. Les comptes ne sont pas bons.
RÉSULTAT INDUSTRIEL MÉDIOCRE
Tout cela coûte cher. Mais cela fonctionne-t-il ? La réponse est non. Une note de l’Institut la Boétie détaille le fiasco. Selon le cabinet de conseil EY, la France n’est que le sixième pays de l’Union européenne en termes d’investissements étrangers. Pire, lorsqu’on précise la focale, on s’aperçoit que deux tiers de ces investissements ne sont que des extensions de site. Pour les emplois, pareil, c’est faible. Très faible. En France, un investissement étranger rapporte 33 emplois. C’est 58 en Allemagne, 64 au Royaume-Uni et 379 en Espagne – trois pays qui ont augmenté les salaires, contrairement à la France ! Sur l’industrie, 67 % des créations d’emplois annoncées au sommet Choose France ne concernent pas des emplois industriels. Dans les milliards promis, nous trouvons par exemple 200 emplois chez la banque d’affaires Stanley Morgan. Fidèle à ses pairs, Emmanuel Macron poursuit la société de services. Et de servitude.
Aussi, il est essentiel de rappeler que des investissements étrangers ne constituent pas une souveraineté. Les brevets, les sièges sociaux, les fonds resteront en dehors du pays. Il suffit de voir, sous nos yeux, l’exemple de l’entreprise Valdunes : lorsque l’actionnaire étranger décide de quitter le pays, l’État est impuissant et les salariés laissés sur le carreau. Un rapport de l’Insee de 2020 nous apprend que 34 % de nos emplois industriels sur le territoire dépendent déjà d’entreprises étrangères. Dans ce contexte, se réjouir, comme le fait Emmanuel Macron, d’augmenter un peu plus cette dépendance, ne traduit pas une volonté forte de défendre les intérêts français.
ÉCOLOGIE, SANTÉ, TRAVAIL : À QUEL PRIX
Emmanuel Macron déclare sur le travail : « Si la France est désindustrialisée par rapport à ses voisins, c’est parce que nous travaillons moins dans le cycle de vie ». Sur l’écologie : « J’appelle à la pause réglementaire européenne. » Des positions que François Ruffin résume ainsi : « c’est le retour de Gary Becker ! ». L’ex-prix Nobel d’économie – et ultralibéral – expliquait en 1993 que « le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en voie de développement ».
Il n’y a en vérité aucun changement. La stratégie d’Emmanuel Macron est une stratégie de dumping social et environnemental. Aucun mot sur les règles commerciales, sur le protectionnisme, sur la fin de cette concurrence libre et faussée, alors que notre déficit commercial bat des records. Et lorsque l’on voit les résultats – plus que modérés –, on est tenté de croire que cette fausse volonté de relocaliser n’est ni plus ni moins qu’une occasion d’accélérer cette course folle à la moins-disance pour la planète et les droits des salariés. Emmanuel Macron nous l’a dit : « Nous sommes en guerre ». Et cela ne s’est pas arrêté au Covid-19. Les Français le sentent chaque jour que nous avons été « en guerre ». Chaque jour ils se sacrifient pour l’effort commun. Après avoir tenu le pays sans masque, sans gel, ils n’ont eu aucun droit nouveau, ni augmentation substantielle des salaires. À cela s’ajoute l’inflation qu’ils subissent de plein fouet. En réponse, la priorité d’Emmanuel Macron est de leur imposer l’injuste réforme des retraites.
Or, les seuls qui ne participent pas à cet effort collectif sont les dirigeants et les grandes firmes. Ce sont les seuls qui voient leurs profits et leurs marges exploser, pendant que les Français les plus précaires renoncent à des repas. En échange de tous les cadeaux fiscaux, des courbettes, des réceptions en grande pompe, qu’est-il demandé aux grands PDG ? Rien. Aucune contrepartie. Aucun conditionnement à la création d’emplois, aucun fléchage des aides vers les grands enjeux du futur : la rénovation thermique, l’environnement, la production de médicaments, la production énergétique. Alors qu’en face, la puissance américaine joue à plein une stratégie faite de subventions directes et de protectionnisme, pour la France, aucune ambition. On ne nous promet qu’une pauvre soupe libérale, réchauffée, qui ne fait plus rêver personne.
(Source: Marianne)