(Source: France Info)
Le ministère de la justice monte au front pour faire appliquer le plafonnement du barème d’indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié.
Les indemnités prudh’homales pour licenciement abusif sont-elles plafonnées ? Oui, répond le gouvernement. C’est d’ailleurs ce que prévoit la réforme du Code du travail, adoptée par ordonnances en 2017 au début du quinquennat Macron. Mais plusieurs conseils de prud’hommes ont jugé ce plafonnement contraire au droit international, au grand dépit de l’exécutif, qui tente de contre-attaquer. Les étapes de ce conflit larvé vous ont échappé ? Tentative d’explication en trois actes.
Acte 1. En 2017, la réforme du Code du travail plafonne les indemnités prud’homales
Le 22 septembre 2017, le président de la République Emmanuel Macron signe les ordonnances modifiant le Code du travail. A la demande du patronat et malgré l’hostilité des syndicats, l’une des mesures prévoit le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif. Auparavant, ces indemnités relevaient du libre arbitre des juges prud’homaux, en fonction de la situation du salarié et de la gravité des faits. Désormais, cette liberté n’existe plus qu’en cas de « harcèlement » ou de « violation d’une liberté fondamentale ». Dans les autres cas, les ordonnances fixent un plancher – une somme minimum – et un plafond. Pour les très petites entreprises (moins de 11 salariés), le plancher est fixé à 15 jours de salaire à partir d’un an d’ancienneté. Pour les autres, il est d’un mois à partir d’un an d’ancienneté et le plancher augmente progressivement. Le plafond des dommages et intérêts est, lui, fixé à deux mois de salaire à partir d’un an d’ancienneté. Il augmente d’un mois par année, jusqu’à dix ans d’ancienneté, puis d’un demi-mois par an, sans dépasser vingt mois.
Acte 2. En 2018 et 2019, plusieurs conseils de prud’hommes dépassent ce barème
Ce plafond n’a pas été respecté dans plusieurs jugements récents. Une quinzaine de conseils prud’homaux, dont ceux de Troyes ou de Lyon, ont ainsi condamné des employeurs à verser des dommages et intérêts supérieurs au plafond fixé par le nouveau barème du Code du travail version 2017. De la même façon, en janvier 2019, le conseil des prud’hommes d’Amiens a jugé infondé le licenciement d’un employé d’une supérette pour faute grave et accordé des indemnités au-delà du barème prévu par la loi : 2 000 euros au lieu de 500, comme l’explique un reportage de France 2. Pour étayer leur jugement, ces conseils prud’homaux se sont appuyés notamment sur l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1982, ratifiée par la France. Ce dernier stipule que si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié (…), ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». Ils font aussi valoir l’article 24 de la Charte sociale européenne (lien PDF) du 3 mai 1996, selon lequel « tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement ».
Acte 3. En février 2019, le gouvernement monte au front
L’information est révélée le 6 mars par ActuEL-RH, « le quotidien des professionnels des ressources humaines ». Le journal dévoile une circulaire, selon laquelle « le gouvernement monte au front » pour tenter de faire respecter par la justice prud’homale le plafonnement du barème des indemnités en cas de licenciement abusif. « Dans une circulaire datée du 26 février 2019 (…), le ministère de la justice demande aux présidents des cours d’appel et des TGI d’informer la direction des affaires civiles du sceau d’une part, des décisions rendues dans leur ressort qui écartent le moyen d’inconventionnalité du barème d’indemnités et, d’autre part, de celles qui, au contraire, retiennent cette inconventionnalité », écrit le journal. Le ministère de la Justice demande également que lui soient communiquées « les décisions qui ont fait l’objet d’un appel afin de pouvoir intervenir en qualité de partie jointe pour faire connaître l’avis du parquet général sur cette question d’application de la loi ». Enfin, « dans ce courrier, sont jointes en annexes les décisions du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel qui ont validé le barème. Le ministère de la Justice estime en effet que ces décisions suffisent à clore le débat », conclut l’article. En clair, le gouvernement demande de lui faire remonter les jugements qui ne tiennent pas compte du nouveau barème d’indemnisation. Et entend influencer les juges prud’homaux pour qu’ils respectent le barème en question. Ce qu’a traduit à sa façon la ministre du travail Muriel Pénicaud, sur France Culture : »Les juges prud’homaux évidemment sont souverains, mais comme c’est une loi nouvelle, il faut être sûr que toute la connaissance juridique détaillée sur le sujet, au Conseil constitutionnel et au Conseil d’Etat, est connue par tous ». Dans un communiqué commun, le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature parlent, eux, de « panique à la chancellerie » et « s’étonnent » du « contenu orienté de la documentation diffusée ».
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