«Je ne tolère pas l’injustice. C’est obsessionnel à la maison. “Depuis deux mois, Yann Gaudin, conseiller dans une agence Pôle emploi à Rennes (Ille-et-Vilaine), a ouvert un blog” Pôle emploi, le droit de savoir “, hébergé par Mediapart pour inciter les demandeurs d’emploi à récupérer l’argent que l’institution leur doit.
Travailleurs intermittents privés d’aide à la fin de leur droit, aide sous licence accordée selon des règles plus restrictives que celles prévues par la loi, inégalité de traitement selon les régions, économies sur l’aide à la formation individuelle, neutralisation anormalement arbitraire des salaires élevée dans le calcul de l’indemnisation … Yann Gaudin dénonce les dysfonctionnements, détaille les dommages causés et les remèdes possibles. Ce quadragénaire célibataire se présente comme un lanceur d’alerte.
Militant écologiste engagé envers les Gilets jaunes, il a les valeurs du service public arrimées au corps. «Trois chômeurs se suicident en moyenne chaque jour en France. Je ne peux pas supporter de leur voler leurs droits », explique calmement cet ancien vendeur qui a connu le chômage avant de participer au concours ANPE.« Quand j’ai été embauché en 2006, j’avais foi et j’ai idéalisé le métier. Mais dès le départ, j’ai a été critiqué pour avoir fait trop », se souvient Yann.
Un e-mail envoyé à 8000 travailleurs bretons intermittents
En 2014, il a découvert par hasard que les travailleurs intermittents, contrairement aux bénéficiaires du régime général, n’ont pas reçu le dossier de demande d’aide spécifique de solidarité, ce qui les a privés du paiement d’une aide de fin de droits à partir de 324 euros. “J’ai constaté un manque d’informations pour lesquelles Pôle emploi pourrait être poursuivi en justice et j’ai donc prévenu ma hiérarchie.”
Les fichiers ont fini par être envoyés pendant quelques mois, puis pas du tout. Yann décide alors d’envoyer un e-mail aux 8 000 travailleurs bretons intermittents pour les informer de leurs droits, ce qui lui vaut une convocation de sa direction l’accusant d’avoir outrepassé son domaine d’activité. «J’ai réalisé que j’avais affaire à des personnes malveillantes. Nous volons de l’argent à grande échelle. J’ai donc commencé à tout vérifier. Ces rapports d’anomalie lui ont valu plusieurs avertissements.
Cela n’empêche pas le conseiller qualifié par deux collègues de “très compétent”, “obstiné” et “intransigeant”. «Son tort est de ne pas savoir se taire pour se protéger. Le problème avec Pôle emploi, c’est que dès qu’on réfléchit trop, ça dérange », a fait remarquer l’un d’eux sous couvert d’anonymat.
Victime de harcèlement moral
En 2017, Yann Gaudin élève un autre lièvre. Selon une instruction de 2015, les artistes ne sont pas obligés de déclarer leurs revenus de la vente de créations originales et peuvent donc les combiner avec leurs allocations chômage. Cependant, comme beaucoup l’ignorent, Yann était responsable de leur rappeler. «J’ai sorti les dossiers des personnes dont les prestations étaient bloquées et je les ai contactées. C’était un peu comme une opération du Père Noël », plaisante-t-il.
Une dizaine de candidats ont pu récupérer des sommes allant de 1 000 à 20 000 euros. Ces initiatives ne sont pas au goût de sa hiérarchie. “Mon avancement est limité depuis six ans et j’ai été victime de harcèlement moral pour lequel j’ai l’intention de poursuivre devant le tribunal”, a-t-il déclaré.
Interrogée sur ce point, Pôle emploi Bretagne a répondu qu’une enquête avait été menée mais qu ‘”aucun harcèlement n’avait été constaté” et a également affirmé avoir “largement diffusé auprès de ses salariés les mesures de protection de la liberté d’expression au sein de l’entreprise”.
En mai 2019, Yann a été licencié pour cinq jours. En dépression, arrêté par son médecin depuis plusieurs mois, il est retourné au travail en rentrée scolaire, toujours déterminé à aider les chômeurs. «Comme mes alertes à ma hiérarchie et au ministère du Travail n’ont jamais été entendues, j’ai décidé d’alerter directement le public avec mon blog. “
Florence, au chômage, a récupéré 20 000 euros grâce à Yann Gaudin
Suite à une rupture conventionnelle, Florence (le prénom a été changé) a commencé à travailler comme graphiste indépendant il y a dix ans. Alors qu’elle commence à déclarer ses revenus de cette activité, elle cesse de percevoir des allocations de chômage. Un jour, elle reçoit un mail de Yann Gaudin qui lui explique qu’elle n’a pas à déclarer à Pôle emploi ses revenus d’artiste-auteur dans le cadre de la mise à jour mensuelle. “Je n’ai pas compris et n’ai pas répondu, d’autant plus que le message n’est pas venu de mon conseiller.”
Le mois suivant, Yann Gaudin recommence. Par téléphone, il lui a dit qu’elle aurait dû continuer de percevoir ses allocations de chômage et qu’elle pouvait les réclamer. «Il a fait le calcul pour moi en direct. Quand j’ai entendu la somme de 20 000 euros, j’étais sans voix», explique Florence. Cette dernière demande un rendez-vous à sa succursale pour une demande de régularisation.
Avant même de le recevoir, le référent réglementaire de l’agence a douché ses espoirs par email et s’est plaint de l’ingérence de Yann Gaudin. “Lors de la réunion, elle m’a élevé et, pour expliquer son refus, a fait valoir une note interne qu’elle refusait de me montrer. Florence contacte le centre régional de médiation de Pôle Emploi qui, faute de décision, la réfère à la médiation nationale. Sans réponse au bout de plusieurs mois, elle a contacté le Défenseur des droits. Miracle! Après avoir envoyé un simple certificat, tout est déverrouillé et elle reçoit enfin, après plus d’un an de procédures, un virement de 20 000 euros. “Je n’y croyais pas, J’ai appelé M. Gaudin pour le remercier. J’aurais pu lui offrir une caisse de champagne mais ça aurait été vu comme un pot-de-vin … “
(Source : Médiapart)