« Une flexibilité à la danoise »

Renégociation de la convention d’assurance chômage vue par un professeur de droit de la Sorbonne

– questions à Pascal Lokiec, professeur de droit à la Sorbonne, co-auteur de « Une autre voie est possible » (1)

 

Parue dans le Républicain Lorrain du samedi 10 novembre 2018

 

RL : Emmanuel Macron à poussé les partenaires sociaux à renégocier l’assurance chômage. A votre avis, pourquoi ?

Il y a l’idée caricaturale que les chômeurs ne veulent pas vraiment travailler, et que la seule chose qui compte, c’est d’avoir un travail, peu importe lequel… plus fondamentalement, il veut mettre en place la flexisécurité à la danoise : un marché du travail parfaitement fluide, ou l’on perd et retrouve facilement un emploi. D’un côté, des licenciements facilités, de l’autre, un système social très protecteur.

RL : C’est assez séduisant…

Oui, mais si l’on veut une France compétitive, il faut parier sur la qualité, l’innovation. Cela suppose des salariés qui aient une garantie de l’emploi, comme au Japon, où la flexibilité est interne à l’entreprise. Il est absurde de penser que les salariés seront plus innovants plus efficaces, s’ils ont la crainte de perdre leur emploi à tout moment… Et même si l’on veut vraiment une flexisécurité à la danoise, il faut savoir que le volet sécurité à coût incompatible avec nos engagements budgétaires : des allocations chômage à 90 % du salaire antérieur, et des politiques massives de formation (1,4 % du PIB au Danemark, contre 0,7 % en France).

RL : Reste que le pouvoir renoue avec les partenaires sociaux, dans l’esprit du paritarisme…

En apparence, il est dans une logique paritaire classique. Mais en mettant sur la table un sujet aussi explosif qu’un bonus-malus pour les contrats courts, la dégressivité des indemnités chômage a, et surtout un niveau d’économies budgétaires à atteindre, il met des blocages qu’il sait insurmontables. À se demander s’il ne programme pas l’échec de la négociation, pour préparer le terrain à des mesures déjà décidées par le gouvernement.

RL : Vous participez  une commission mise en place par le gouvernement pour établir le bilan des ordonnances sur le travail de 2017. Vos premières conclusions ?

C’est trop tôt ! Le droit fonctionne sur le temps long, et si on espère que changer le droit aura un impact sur le chômage au bout d’un an, on rêve. Pour ma part, je ne crois pas d’ailleurs que réformer le droit du travail permette de diminuer le chômage. Les gouvernements successifs semblent considérer le droit et la règle de droit uniquement comme des contraires à éliminer, en oubliant que le droit est là pour défendre des valeurs et des principes.

 

Propos recueillis par Francis Brochet

 

 

(1) « une autre voie est possible », d’Éric Jeter, Pascal Lockiec et Dominique Méda (Flammarion).

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